Maman pétille
20 Février 2020
L’idée ça faisait un moment qu’elle était. J’y pensais. Je l’oubliais. Du moins, je le croyais. Et puis elle revenait. Plus forte. Plus pressante.
Alors je lui en ai parlé. Il m’a dit de foncer.
Mais quand même quelque chose me gênait… La peur de ceux que les autres allaient penser ? Et si je m’ennuyais ? Mais comment m’était-elle venue cette foutue idée ?
Ma vie je l’ai choisie. Je bénis d’ailleurs ce fameux jour où je me suis autorisée à être moi, où j’ai osé tirer un trait sur ma vie d’avant : cet emploi à responsabilités dans lequel je ne me reconnaissais pas, ou plus, ce statut social que j’ai pourtant longtemps convoité, ce confort financier atteint non sans effort.
Aujourd’hui, je suis là où je voulais être. Au quotidien avec ma famille. Cette famille tant espérée que l’on a galéré à construire. Comme une revanche sur le passé et toutes ces choses que je pensais louper.
Heureuse et épanouie. Et pourtant. Au fil des mois, j’ai aussi eu la sensation de me laisser envahir, de me perdre parfois.
S’occuper de tout le monde, tout le temps, soigner les petits bobos, calmer les tempêtes émotionnelles, rythmer ses journées par les allers-retours à l’école, matin, midi et soir, mettre la table, autant de fois, et la débarrasser, préparer des activités, ranger les lego éparpillés, trier le linge, partager ses pauses pipi, penser au menu en tentant de satisfaire les goûts de chacun, essuyer des nez qui coulent et des cacas et ce souvent en plein milieu du repas, repas que tu avaleras froid quoi qu’il en soit,…
Allais-je tenir sur la durée ?
Ou bien finirais-je par m’essouffler et tout envoyer valser ?
Sans grande conviction ce formulaire je l’ai rempli et envoyé. Et puis la réponse est tombée.
Depuis peu, j’ai obtenu une place d’accueil en crèche pour Paupiette quelques heures par semaine.
Depuis peu, je fais partie de « celles qui prennent la place à quelqu’un qui travaille et qui en aurait plus besoin ». Qu’est-ce que j’ai pu les maudire « celles-là », il y'a quelques années de ça, quand toutes les portes des crèches se sont fermées, par manque de place et que je devais confier mon premier bébé de 3 mois pour vite retrouver ce poste prometteur qui m’attendait.
Et bordel, qu’il était facile de juger, sans même savoir, sans même connaitre. J’ai honte c’est vrai. Mais il n’est pas là question de refaire le passé.
Ne dit-on pas que seuls les con(ne)s ne changent pas de position. Me voilà rassurée, je ne fais pas partie de « celles-là ». Pas cette fois.
Depuis peu, je dispose de quelques heures pour moi. Juste moi. Le jeudi.
Et puis pour que cela soit vraiment le cas, j’ai décidé d’inscrire Cracotte à la cantine, une semaine sur deux, ce jour là.
Ca ne s’est pas fait sans effort, financier déjà, moral surtout. Mais ça en vaut le coup.
Ces jeudis sont mes jeudis.
Ceux où j’essaie de garder le quotidien de côté. Même si soyons honnêtes, je n’arrive pas encore à m’empêcher de « m’avancer », il y a toujours du linge à ranger où une machine à faire tourner, faut pas rêver.
Ceux qui me permettent de me poser sur mes différents projets, mon retour à la vie active, mon éventuelle reconversion professionnelle.
Ceux où je retrouve le plaisir simple d’aller aux toilettes seule. Ceux qui savent savent.
Ceux où je prends le temps de me ressourcer, d’exister.
Ceux où je peux décider d’avaler un sandwich vite-fait sur le canapé ou de retrouver des amis à l’heure du déjeuner, et avec eux le plaisir d’échanger entre adultes, parents ou non, de tout et de rien, pas nécessairement d’enfant. Et ça fait bizarre au départ.
Ceux où je remplis les réserves de patience de secours, au cas où elle viendrait à manquer.
Ceux dans lesquels je peux me réfugier après une semaine agitée.
Ceux qui me permettront, dans mes rêves les plus fous, de reprendre le sport, d’enfin me mettre à la couture.
Ceux où la femme prend le pas sur la maman.
Une petite parenthèse enchantée.
Un équilibre enfin trouvé.
Alors qu’hier encore je la fuyais, aujourd’hui, je le sais, j’ai besoin d’un peu de solitude pour avancer.
La partie est encore loin d’être gagnée. Parfois, pour ne pas dire souvent, Mme Culpabilité vient s’inviter. Mais j’essaie aussitôt de l’envoyer valser pour vite retrouver le plaisir grisant que m’offrent ces quelques heures de liberté.
Et puis 16H30 arrive. Quel bonheur de les retrouver ces cris, ces « on disait », ces pleurs, ces rires, ces nez qui coulent, ces pipi-caca-prout, ces fesses à essuyer, ces bribes d’enfance qui rythment mes journées et l’effervescence du quotidien qui finissent par me manquer en fin de journée.
Et puis parfois, je me surprends à rêver de quoi sera fait ce prochain jeudi, mon prochain jeudi, en tête à tête avec moi-même. Avant de me faire rappeler par la réalité. Ce n’est pas tout, mais ma machine à laver est en train de sonner et j’ai une parti de Mémo Meuh à terminer !