Maman pétille
13 Décembre 2018
Un soir de décembre, à la nuit tombée.
Epuisée par toute cette fatigue accumulée, ces soirées à tenter de boucler cette pile de dossiers accumulés en ce pire mois de l’année… Pourtant, pour autant qu’elle s’en souvienne, elle l’appréciait cette ambiance de fin d’année, les façades illuminées qu’elle aimait pouvoir contempler, l’effervescence des ruelles du centre-ville, … Cette année, elle n’aura pas le temps de s’y attarder, c’est certain. Une pression qu’elle s’auto-infligeait. Un CDI fraîchement dégoté dans cette start-up si prometteuse dans laquelle il était bon d’enchainer les heures sans jamais trop les compter.
Un soir de décembre, à la nuit tombée.
C’était décidé, à 18h, dernier délai, elle éteindrait son PC et foncerait rejoindre son mari. C’est drôle, elle n’avait pas encore l’habitude de l’appeler ainsi. Ils venaient tout juste de fêter leur noce de coton. Son cher et tendre, qu’elle avait osé quitter le matin même sans daigner l’embrasser. Une histoire d’ego mal placé.
Elle les visualisait déjà ces retrouvailles, après des jours, des semaines à se croiser. Et puis promis, elle arrêterait de ressasser, de se focaliser sur cette grossesse qui tarde à se présenter et ce malgré les lourdes stimulations hormonales engagées. Le motif même de leur dernière dispute, le matin même, vous vous souvenez.
18h30. Enfin.
Presque arrivée. Son immeuble, elle le voyait.
Encore deux passages cloutés et elle le serrera dans ses bras.
Encore deux pas, deux pas qu’elle ne fera pas.
Un choc.
Un vol plané.
Du sang.
Un taux de béta-hCG élevé.
Des espoirs brisés.
Une blessure longue à panser.
Et pourtant elle était chanceuse.
85%.
C’est le risque qu’elle avait d’être tuée lors de cette collision avec ce véhicule - rouge - qui roulait à 50 km/h, en plein virage, à contre-sens.
Ah oui, j’oubliais : ELLE, c’est MOI.
De cet accident je me souviens que ce que l’on a bien voulu me raconter et des longs mois qui m’ont été nécessaires pour que je parvienne à me relever.
La rancoeur et la haine ont été difficiles à dompter.
Longtemps, il m’était impossible de me regarder dans un miroir, défigurée, vidée.
Je n’étais plus moi, je n’étais plus rien.
Toi, conducteur un peu trop pressé, beaucoup trop distrait, hier encore je t’ai maudit.
J’étais loin d’imaginer quel tsunami cet accident allait engendrer.
Mais aujourd’hui je te remercie.
Aujourd’hui, je vis.
Pour autant que je me souvienne, j’ai toujours apprécié cette ambiance de fin d’année, cette magie de Noël, l’excitation qui en émane, les façades illuminées, les effluves d’épices et de chocolat, les yeux qui pétillent et les papilles qui frétillent.
Depuis quelques années, cette magie revêt une dimension particulière…
Décembre est le seul mois de l’année où je parviens à vivre pleinement l’instant présent, à me recentrer sur mes émotions. Je lâche mes to-do.
J’oublie le temps, je redeviens enfant.
Je me laisse docilement porter.
J’ai envie de légèreté, de futilité (« oh tiens ce serre-tête complètement kitch me fait terriblement envie et hop dans le panier »). J’ose et je m’assume.
Je m’autorise à croire que rien n’est impossible, tout est réalisable.
J’ai besoin d’être constamment entourée, d’aimer de façon démesurée, et de me sentir aimée aussi, de rire, de trinquer à rien, à tout, au simple plaisir d’être là, ici, maintenant, de me sentir vivante.
Finalement, la magie n’est peut-être pas là où on l’attend…
Et pour les 11 autres mois, me diriez-vous ? J’y travaille, mais c’est pas gagné !
Ce grain de folie je le porte en moi, tout au long de l’année. Il est sans doute un peu étouffé par ma tendance « control freak », et le poids de ce quotidien routinier qui se doit (selon moi) d’être un minimum cadré. Une chose est sûre, la magie de ce mois de décembre suffit à le faire ressurgir, et je reste persuadée que cet accident n’y est pas étranger.
Parce que maintenant je le sais, tout a failli basculer.
Ce soir de décembre, à la nuit tombée.